11 septembre 2011

Croître et embellir


" Sortir de son monde, ou de son Moi habituel, est une expérience transcendentale. Cela arrive à la plupart des gens et dure plus ou moins longtemps. Ces expériences ont en commun une impression de détente, une sensation de libération et la découverte d'un Soi pleinement vivant, qui réagit de façon spontanée. Mais de telles transformations sont le fait du hasard et on ne peut ni les prévoir ni les programmer. Malheureusement, elles cessent souvent aussi soudainement qu'elles avaient commencé ; le carrosse étincelant redevient citrouille en une nuit. On reste abasourdi : quelle est la vraie réalité de l'être ? Pourquoi ne peut-on pas rester dans cet état de liberté ?
(...) Si l'on recherche la transcendance, on peut avoir de nombreuses visions, mais on s'arrêtera certainement là où l'on a commencé. Si l'on opte pour la croissance, on peut avoir quelques instants de transcendance, mais ce seront des sommets sur la route régulière menant à un Moi plus riche et plus solide.
La vie elle-même est un processus de croissance, qui commence par la croissance du corps et des organes, passe par l'établissement de la dextérité motrice, l'acquisition du savoir, l'augmentation des connexions, et finit par une sommation de l'expérience qu'on appelle sagesse. Ces divers aspects de la croissance se recouvrent, puisque la vie et la croissance s'insèrent dans un environnement naturel, culturel et social. Bien que la croissance soit un processus continu, celui-ci n'est jamais uniforme. Il y a des périodes de ralentissement, pendant l'assimilation de l'expérience, qui préparent l'organisme à une nouvelle ascension. Chaque ascension conduit à un nouveau sommet et crée ce que nous appellerons une expérience culminante. Chaque expérience culminante doit à son tour s'intégrer à la personnalité pour qu'une nouvelle croissance puisse avoir lieu et que l'on finisse par atteindre la sagesse. J'ai signalé un jour à Reich que je connaissais la définition du bonheur. Il haussa les sourcils, me regarda d'un air railleur et me demanda ce que c'était. Je répondis : Le bonheur c'est la conscience de croître. Ses sourcils retombèrent, tandis qu'il commentait : Pas mauvais.


Si ma définition a quelque validité, cela suggère que la plupart des gens entreprennent une thérapie parce qu'ils sentent que leur croissance s'est arrêtée. Assurément de nombreux patients comptent sur la thérapie pour faire redémarrer le processus de croissance. La thérapie en est capable si elle procure de nouvelles expériences et aide à écarter ou à amoindrir les blocages ou les obstacles qui empêchent d'assimiler l'expérience. Ces blocages sont des schémas de comportement structurés qui témoignent d'une résolution peu satisfaisante, compromis avec les conflits infantiles. "

Dr Alexander LOWEN
La Bio-Energie

7 septembre 2011

De une à deux

Je me souviens d'une question d'oral d'école de commerce il y a bientôt dix ans (pour une de ces épreuves de débat où il faut argumenter sur à peu près n'importe quoi) formulée ainsi : Vaut-il mieux un petit chez soi ou un grand chez les autres ? A l'époque, j'étais farouchement attachée au fait d'avoir un "petit chez moi" qui soit un espace entièrement privé, dont j'aie seule le contrôle. Mon image du "grand chez les autres", c'était la maison familiale, certes très vaste mais dépourvue d'endroit qui puisse être pour moi un lieu de repli ou de secret. Les portes fermaient mal ou pas du tout, le son voyageait facilement entre les étages, les meubles étaient de famille - mon véritable espace privé, c'était les carnets où j'écrivais. La conquête d'une porte dont je puisse seule avoir la clé fut pour moi vécue comme celle d'une vie que je puisse mener sans que quiconque y ait droit de regard. - C'est étonnant d'ailleurs de voir comme, aujourd'hui encore, je garde un égal amour pour les lieux de secret et les lieux d'exposition, comme la scène : cet endroit magique où l'on est à la fois vu et pardonné. Comme le monde des chrétiens en somme : Dieu y sonde les reins et les cœurs, mais son fils a tout racheté…
Autant dire que je ne partageais pas la vision de mon compagnon de l'époque qui, ayant longtemps été hébergé par des amis, adhérait tout à fait au partage collectiviste d'un "grand chez les autres".
Pendant toute ma vie d'étudiante et de jeune active comme ils disent, j'ai fui les possibilités de colocation en dépit des loyers parisiens prohibitifs. J'ai jubilé de pouvoir, aux moments que je choisissais, ouvrir ma porte à qui je voulais.
Mais rien n'est éternel, et depuis que j'ai laissé souffler sur mon paysage le wind of change, je suis pour ainsi dire prête à tout, et surtout à l'inédit. Je découvre donc à bientôt trente ans ce que la plupart de mes proches ont pu expérimenter bien avant : les joies exotiques de partager un appartement. Et là je me rends compte que, prise que j'étais par les préparatifs du déménagement, je n'avais pas du tout anticipé le changement de paradigme complet que cela pouvait signifier pour moi. Raisonner non plus pour une, mais pour deux. Agencer un espace d'une manière qui puisse convenir à deux intelligences fonctionnant selon des mécanismes très dissemblables (en gros : un cerveau gauche / un cerveau droit). Découvrir d'un même coup les mille petites habitudes de l'autre (auxquelles on fait beaucoup moins attention quand on ne vit pas réellement ensemble au quotidien), et les miennes propres, par contraste. Ce dernier point est presque le plus troublant. Par quels étranges détails viennent se dessiner les frontières de notre zone de confort - la place des choses, le temps des rituels quotidiens. Cela fait pile dix ans que je vivais avec moi-même, il était temps d'essayer autre chose.
Le titre de ce billet est un clin d’œil destiné à l'excellent Marc Bonheur, qui en sait un bout sur ce que s'apprivoiser à l'autre veut dire. Mesdemoiselles, je vous invite vivement à découvrir son site : http://www.lemodedemploi.com/